1.2 Les systèmes d'aide à la décision (SAD)

Les modèles d'aide à la décision deviennent opérationnels à travers les systèmes d'aide à la décision. Les Systèmes d'Aide à la Décision (SAD) sont de plus en plus disponibles pour assister des managers en marketing dans leur processus de décision (Little 1979, Sprague 1980).

D'après Evrard , Pras et Roux (1993) le système d'aide à la décision est un ensemble cohérent de moyens destinés à assister le décideur dans la résolution d'un problème spécifique de gestion.

Little (1979, p.11) définit les systèmes d'aide à la décision en marketing comme une collection coordonnée de données, systèmes, outils et techniques avec soutien software (logiciel) et hardware avec lequel une organisation collectionne et interprète l'information relevante du marché et de l'environnement et la transforme dans une base pour l'action marketing.

En marketing le cadre d'analyse des systèmes d'aide à la décision le plus récent et le plus complet a été proposé par Wierenga et van Bruggen (1997). Ils classent les huit catégories de systèmes d'aide managerial en marketing (SAMM) identifiés, dans l'ordre chronologique de leur apparition. A cet ordre, qui correspond en gros au degré de structuration des problèmes que ces systèmes arrivent à résoudre, ils associent quatre "modes de résolution de problèmes marketing" (MRPM) adoptés par les managers en fonction de leur personnalité, les caractéristiques du problème et de l'environnement de décision (Figure 1). Il s'agit des modes optimisant, raisonnant, analogue et créatif.

 

Figure 1. - Intégration des modes de résolution des problèmes par les managers (MRPM) avec les Systèmes d'aide aux managers en Marketing (SAMM) ; (Source: Wierenga et Van Bruggen, 1997)

 

Ce cadre à le mérite d'essayer d'éteindre la perspective de la prise des décisions marketing du mode analytico/explicatif qui caractérise la pensée scientifique au mode associatif/créatif plus proche du raisonnement naturel qui est probablement le mode de résolution des problèmes que les managers adoptent le plus souvent.

Le mode optimisant et dans une moindre mesure le mode raisonnant appartiennent au système analytico/explicatif, pendant que les modes analogue et créatif se soumettent au système de raisonnement associatif.

 

Les modes de résolution des problèmes par les managers (MRPM)

Le modèle cognitif du manager marketing utilisant le mode optimisant est celui d'un scientifique ou ingénieur qui ont une vision claire du mode de fonctionnement des processus. Il est représenté par un modèle mathématique objectif, qui donne une description valide des relations entre les variables relevantes de manière quantitative. Le décideur cherche les valeurs des variables décisionnelles qui maximisent les valeurs des variables objectif du problème analysé. Les valeurs optimales des variables décisionnelles sont déterminées dans le "monde du modèle" et sont ultérieurement traduites pour le "monde réel".

 

En l'absence d'un modèle objectif le décideur marketing adopte le "mode raisonnant". C'est un "raisonnement basé-modèle" (Johnson-Laird 1989). Il s'appuie sur des modèles mentaux. Les modèles mentaux tendent être qualitatifs, subjectifs et incomplets. Ils peuvent être en discordance avec la réalité. Un modèle mental est composé des variables considérées relevantes et de la relation de cause à effet supposée entre ces variables. Il aide le décideur à diagnostiquer et résoudre un problème spécifique.

Ces modèles mentaux forment la base du raisonnement des managers vis-à-vis d'un problème car si un monde systématique subjacent aux phénomènes marketing existe vraiment, il n'a été exploré et cartographie que partiellement.

 

Quand confronté à un problème, une personne est naturellement inclinée à faire valoir l'expérience gagnée par la résolution de problèmes similaires en adoptant le mode "analogue".

L'analogie est considérée comme un mécanisme fondamental de la compréhension et résolution des problèmes. "Le fait de trouver des analogies est au cœur de l'intelligence" (Hofstadter 1995, p. 63). Les enfants appliquent automatiquement la pensée analogique et on peut trouver des éléments d'une telle pensée même chez les singes et chimpanzés" (Holyak et Thagard 1995).

Le raisonnement analogique ou "basé sur cas" implique que ce sont les instances originales concrètes qui sont utilisées pour raisonner plutôt que les abstractions qui sont basées sur ces instances.

Le raisonnement basé sur cas excelle comme approche dans des "domaines de théorie faible", domaine ou les phénomènes ne sont pas assez bien compris pour permettre de déterminer la causalité de manière non ambiguë (Kolodner, 1993). Sans doute, une grande partie de la résolution de problèmes en marketing suit probablement la voie analogique, car les managers ne disposent ni d'une théorie marketing suffisante ni de règles généralisées, déduites de l'expérience pour adopter un modèle mental.

Il y à une transition en double sens entre le mode analogue et le mode raisonnant.

 

Créer signifie littéralement donner vie ou former à partir de rien. Pour Ackoff et Vergara (1981, p. 8) "c'est la capacité de transgresser les contraintes imposées par la coutume et la tradition afin de trouver des nouvelles solutions à des problèmes". La créativité suppose une pensée divergente et la capacité de découvrir des problèmes.

Pensée divergente signifie penser avec un esprit ouvert, élargir les possibilités de décision et l'espace des solutions, et est opposé à la "pensée convergente" qui signifie évaluation et filtrage des possibilités existantes (Chung 1987). Mais la pensée divergeante n'est pas une condition suffisante pour expliquer la créativité. La capacité de trouver le problème ou de saisie des écarts est aussi important (Kabanoff et Rossiter 1994). Un élément important de créativité est la capacité de faire des connexions, trouver des nouvelles idées par associations d'idées existantes.

 

Les Systèmes d'aide aux Managers en Marketing (SAMM)

Aux quatre modes de résolution des problèmes que peuvent adopter les managers en marketing s'accordent dans la vision proposée par Wierenga et van Bruggen (1997) dix types de systèmes d'aide (SAMM) :

 

Les modèles marketing marquent le début de l'utilisation des ordinateurs pour la prise des décisions marketing (Bass, Buzzel et Greene et al. 1961; Buzzel 1964; Frank, Kuehn et Massy, 1962). Les travaux du début des années 60 ont ouvert une tradition de modélisation marketing qui continue jusqu'a nos jours (Lilien, Kotler, Moorthy, 1992). Mis à part sa contribution à la prise des décisions, les travaux de construction de modèles marketing à eu un rôle inestimable dans le développement de la discipline du marketing.

Dans cette approche on développe d'abord la représentation mathématique du phénomène marketing relevant, c'est à dire le modèle marketing. Ce modèle est paramétré ou calibré en utilisant une méthode d'estimation statistique. Des valeurs optimum sont dérivées par des techniques comme le calcul différentiel ou par des techniques de recherche opérationnelle (programmation linéaire ou non linéaire) et simulation (Lilien, Kotler, Moorthy 1992, p.8). Des capacités analytiques issues des recherches opérationnelles ou de l'économétrie sont nécessaires.

Sont représentatifs pour cette approche les modèles MEDIAC (Little et Lodish, 1969) pour le media planning et SH.A.R.P (Bultez et Naert 1988) pour l'affectation de l'espace de présentation en grande surface.

 

Les systèmes d'information marketing (SIM) apparus dans la deuxième moitié des années 60 le concept de système d'information en management a été applique en marketing (Amstutz 1969, Kotler 1966). Les premiers SIM étaient plutôt une combinaison de données marketing et système de stockage et extraction de données. Ultérieurement ce sont rajoutés des procédures statistiques (capacités analytiques). Même si la littérature académique leur accorde une attention limitée. Dans les entreprises ils sont plus présents que les modèles. Beaucoup de SAMM dans les entreprises sont de facto des SIM.

 

Apparu dans les années 70 le concept de systèmes d'aide à la décision (SAD) a été repris dans la littérature du management (Keen et Scott Morton 1978 ; Sprague et Carlson 1982). Ils proposent une approche plus pratique et flexible des problèmes à résoudre, comparativement au modèles de recherche opérationnelle. Les taches qu'ils traitent sont demi structurées et ils cherchent à aider et non pas à remplacer le jugement de managers. Leur objectif vise davantage de croître efficacité de la prise des décisions que son efficience.

Little (1979, p. 9) définit le SAD comme "une collection coordonnée de données, modèles, outils analytiques et puissance de calcul à l'aide de laquelle une organisation collecte de l'information de l'environnement et la transforme dans une base pour l'action." Un SADM permet aux managers marketing de modéliser les phénomènes marketing conformément à leurs propres idées (modèles mentaux).

Le SADM est adapté à répondre à des questions de type "what if".

Des exemples de SADM sont : le système ADBUDG (Little 1970), qui prédit les parts de marché pour un budget de publicité, et ASSESSOR (Silk et Urban 1978), qui prédit la part de marché d'un produit nouveau à partir de ses attributs et de la campagne d'introduction.

 

Les systèmes experts marketing (SEM) focalisent sur la connaissance marketing.

Ils sont issus du domaine de l'intelligence artificielle vers la fin des années 1970 (Feigenbaum, McCorduck, et Nil 1988 ; Harmon et King 1985). Leur objectif est de capter la connaissance, en provenance d'experts dans un domaine spécifique, et de la rendre disponible à travers un programme informatique de résolution de problèmes dans ce domaine. Ils tentent de répliquer les niveaux de performance des experts humains dans un modèle informatique (Rangaswamy 1993).

Les connaissances sont représentées sous forme de règles de type "si-alors"

En marketing les premiers SEMs sont apparus à la fin des années 1980 (Burke et al. 1990; Gaul et Both 1990 ; McCann et Gallagher 1990 ; Rangaswamy et al. 1989). Wierenga (1990) avait identifié à l'époque plus d'une vingtaine de SEMs.

Un exemple représentatif de SEM est Dealmaker (McCann et Gallagher 1990), qui contient des connaissances collectées de distributeurs dans le domaine de l'épicerie et de la pharmacie et peut prédire l'impact d'une offre d'affaire. ADCAD (Burke et al. 1990), est un autre exemple qui donne des conseils pour la conception et l'exécution du message publicitaire.

 

Les systèmes à base de connaissance en marketing (SBCM) se réfèrent à une catégorie plus large que les SEM. La source des connaissances ne se résume pas uniquement aux experts. Elle fait aussi appel aux livres, cas, etc. La représentation des connaissances est plus riche et n'est pas limitée uniquement aux règles.

Une approche fertile est la représentation des connaissances sous forme de "réseaux de concepts". Elle fait une analogie directe avec la manière dans laquelle les êtres humains stockent l'information dans leur mémoire à long-terme (Dutta 1993 ; Luger et Stubblefield 1993). Les réseaux sémantiques et les hiérarchies basées sur frames sont des exemples de cette méthode de représentation structurée des connaissances. La similarité de la modélisation structurée des connaissances avec la manière dans laquelle les êtres humains opèrent avec des concepts dans leur esprit rend facile la représentation des modèles mentaux des managers dans les SBCM et leur utilisation pour le "raisonnement basé-modèle". Pour Rangaswamy les systèmes à base de connaissances sont des "modèles de décision qui utilisent les méthodes de l'intelligence artificielle " (Rangaswamy 1993, p. 750)

 

Les Systèmes de raisonnement à base de cas en Marketing (SRBCMs) se basent sur le fait que le raisonnement analogue correspond à une manière naturelle d'aborder les problèmes. Ils cherchent à renforcer le "pouvoir analogique" du décideur en l'aidant à se souvenir et de retrouver les cas relevants.

Chaque cas rencontré et retenu, pour l'intérêt qu'il présente, est enregistré avec les données relevantes sous forme d'un "amalgame" cohérent. Il s'agit d'un stockage de connaissances en "forme brute" qui est à distinguer du stockage en "forme compilé" (par exemple les règles déduites par un expert à partir d'expériences précédentes ; Riesbeck and Schank 1989).

Ces systèmes utilisent des indexes, des algorithmes de recherche et extraction pour trouver les bons cas et des procédures pour comparer (voir ajuster), adapter et transformer des cas (Kolodner 1993)

Des exemples sont : ADDUCE (Burke 1991), qui infère la manière dans laquelle les clients réagiront face une nouvelle publicité en cherchant dans les événements publicitaires passés et un système qui prédit les ventes promotionnelles pour une promotion donnée basée sur des cas passés analogues extraits d'une base de cas (McIntyre, Achabal et Miller 1993)

Le système que nous avons proposé (Calciu et Benavent, 1994) et qui est présenté au chapitre qui porte sur la modélisation de la réponse en Marketing offre une méthodologie souple d'estimation des taux de réponse à des opérations promotionnelles, en cherchant dans les courbes de réponse des actions passées et dans des situations analogues.

 

Les réseaux de neurones Marketing (RNM) sont l'application d'une technologie qui s'est imposé dans la science cognitive/IA pendant la dernière décade et demi (Dutta 1993 ; Haberlandt 1994 ; Johnson-Laird 1988 ; Luger et Stubblefield 1993 ; Rumelhart, McClelland, et PDP Research Group 1986)

Les réseaux neuronaux sont utilisés pour modéliser la manière dans laquelle l'être humain attache du sens à un ensemble de stimuli qu'il réceptionne ou autrement dit comment les gens reconnaissent des motifs (patterns) à partir de signaux. Ils sont plus aptes pour la prédiction que pour l'explication.

La technologie a été utilisée pour prédire les audiences à la télévision (Fitzsimons, Khabaza, et Shearer 1993), pour la segmentation du marché (Mazanec 1993), et pour le marketing des bases de données (Zahavi et Levin 1995)

 

Des programmes de stimulation de la créativité Marketing (PSCM) sont sensés à stimuler et renforcer la créativité du décideur marketing.

Pour l'instant il semble qu'il existe un seul système marketing qui a un "module de créativité": La plus récente version du système CAAS de design publicitaire développé par Kroeber-Riel (1993) fait une recherche créative de motifs picturaux pour la publicité émotionnelle.

 

Cette classification des systèmes d'aide aux managers en marketing est utilitariste et ne doit pas être considérée comme immuable. Les modèles marketing et les SIM peuvent être vus comme des cas particuliers des SADM. D'autre part les SEM, RNM et les SRCM peuvent apparaître comme des sous-catégories des SBCM.

Ainsi on arrive en gros à deux catégories de base: les systèmes d'aide à la décision SADM et les SBCM, qui sont proches des systèmes intelligents à base de modèles (SIBM) et respectivement des systèmes intelligents à base d'heuristiques (SIBH), deux catégories suggérées par Choffray (1992).

 

Une comparaison des SIBH avec les Systèmes Intelligents à Base de Modèles (SIBM) qui font l'objet de notre démarche et que nous préférons appeler SAD est faite par Choffray dans Evrard, Pras et Roux (1993) et résumé dans le tableau suivant :

Tableau Comparaison entre les systèmes à base de modèles et à base d'heuristiques

Composantes

SIBM (modèles)

SIBH (heuristiques)

Description de l'environnement

Données

Faits

Expression des connaissances

Modèles

Heuristiques

Mobilisation des connaissances

Calibrage statistique

Correspondance symbolique

Mode d'inférence

Simulation, optimisation

Chaînage logique

Type d'assistance

Solution recommandation

Diagnostic conseil

Source: J-M.Choffray dans Evrard, Pras et Roux (1993)

 

En ce qui concerne l'intelligence d'un SAD qui s'exprime par l'autonomie fournie dans le recueil, l'analyse et l'interprétation des données et dans l'assistance fournie à l'utilisateur, nous considérons, qu'elle n'est pas une condition "sine qua non". L'intelligence (machine) est plutôt une caractéristique des systèmes experts. Dans les SAD l'intelligence se trouve surtout dans les modèles qui formalisent et enchaînent des traitements de données (non-intelligents) et plus rarement dans l'assistance qu'ils fournissent à l'utilisateur.

Vu ainsi la majorité des SAD que nous présentons ici ne sont pas "intelligents". Pour les managers les SAD contribuent à la réduction des risques par l'intégration d'une grande masse d'informations, à l'accroissement de la créativité par la facilité d'analyser rapidement et systématiquement et à l'apprentissage par des possibilités de transfert, accumulation et d'enrichissement des décisions.

Dans l'entreprise ils contribuent à la formalisation des connaissances et au développement de l'intelligence organisationnelle en lui fournissant les moyens pour comprendre, anticiper et s'adapter.

En général ils s'inscrivent dans leurs systèmes d'information. La banalisation des technologies et l'accès aux même ressources pour les entreprises font croître l'importance stratégique des systèmes d'information.

Dans ces conditions il devient essentiel d'acquérir, interpréter, enrichir, valider, formaliser, exploiter et diffuser au sein de l'entreprise les connaissances qui régissent ces activités et conditionnent son succès.

Il est bien connu que les données traitées deviennent de l'information. L'information intégrée dans la mémoire individuelle ou dans celle des organisations constitue de la connaissance. Dans une entreprise les connaissances existent sous forme descriptive, formalisée ou opérationnelle qui sont aussi des étapes que les connaissances peuvent parcourir. Choffray (1992) suggère une structure de pyramide inversée pour montrer que dans les entreprises les connaissances descriptives sont les plus fréquentes et qu'une partie est formalisé et que très peu des connaissances sont opérationnelles. Cela montre que, pour la modélisation et les systèmes d'aide à la décision, les opportunités sont nombreuses et les perspectives sont favorables.