Les Polygones Gravitaires - Une Nouvelle méthode d'analyse spatiale du marché. Application à un réseau bancaire.

La géographie des marchés et le "GéoMarketing" ont toujours attiré l'attention des décideurs et des chercheurs, mais la disponibilité de nouvelles technologies de traitement, de représentation et gestion des informations géographiques, associée à une masse et à une qualité de données de plus en plus grandes, donne une nouvelle impulsion aux travaux dans ce domaine. Cet article situe la théorie des places centrales dans la recherche sur la localisation des points de vente, propose et applique une nouvelle démarche qui va dans le sens d'une opérationnalisation de cette théorie. En se basant sur des études empiriques menées en géographie et en marketing, cette démarche propose de traiter  la structure triangulo-hexagonale de Christaller comme un cas particulier d'une structure triangulo-polygonale plus flexible, basée sur la triangulation de Delaunay, avec son corollaire, les polygones de Voronoi. Par ailleurs, la méthode prend en compte les différences d'attractivité qui se manifestent entre les opérateurs d'un même niveau en intégrant des modèles gravitaires et des modèles MCI. Lorsque la théorie des places centrales s'avère pertinente, la méthode permet d'estimer le partage du territoire commercial et de le visualiser. Les actions marketing réelles ou simulées jouent sur les index d'attractivité qui conduisent à de nouveaux partages. L'application est donnée dans un contexte de réseau d'agences bancaires.
Les Polygones Gravitaires - Une Nouvelle méthode d'analyse spatiale du marché. Application à un réseau bancaire. Mihai Calciu maître de conférences EREM-IAE de Lille (c) 2011
La géographie des marchés et le "GéoMarketing" ont toujours attiré l'attention des décideurs et des chercheurs, mais la disponibilité de nouvelles technologies de traitement, de représentation et gestion des informations géographiques, associée à une masse et à une qualité de données de plus en plus grandes, donne une nouvelle impulsion aux travaux dans ce domaine. Cet article situe la théorie des places centrales dans la recherche sur la localisation des points de vente, propose et applique une nouvelle démarche qui va dans le sens d'une opérationnalisation de cette théorie.
En se basant sur des études empiriques menées en géographie et en marketing, cette démarche propose de traiter  la structure triangulo-hexagonale de Christaller comme un cas particulier d'une structure triangulo-polygonale plus flexible, basée sur la triangulation de Delaunay, avec son corollaire, les polygones de Voronoi. Par ailleurs, la méthode prend en compte les différences d'attractivité qui se manifestent entre les opérateurs d'un même niveau en intégrant des modèles gravitaires et des modèles MCI.
Lorsque la théorie des places centrales s'avère pertinente, la méthode permet d'estimer le partage du territoire commercial et de le visualiser. Les actions marketing réelles ou simulées jouent sur les index d'attractivité qui conduisent à de nouveaux partages. L'application est donnée dans un contexte de réseau d'agences bancaires.

Introduction

Introduction
Importance des décisions spatiales en marketing
Importance des décisions spatiales en marketing

La localisation des points de vente ou de service est l'une des décisions les plus importantes que doivent prendre les détaillants, les banques, les chaînes hôtelières et de nombreux autres opérateurs. L'emplacement conditionne les ventes, la part de marché et le profit (Kimes et Fitzsimmons, 1990). Ce choix est également crucial car il suppose un investissement important. Enfin, la localisation peut constituer un élément de différenciation et une source d'avantage concurrentiel sur un marché où se multiplient des points de vente commercialisant des produits très similaires (Craig, Ghosh, McLafferty, 1984).


Objectifs de l’article
Objectifs de l’article

Cet article présente les principales approches et méthodes qui permettent d'aborder la problématique de l'organisation spatiale d'un marché et propose une méthode originale d'évaluation de l'aire de marché d'un point de vente. Cette méthode repose sur les concepts et la structure proposés par la théorie des places centrales. Elle est basée sur la triangulation de Delaunay et permet de déterminer géométriquement une aire de marché qui prendra une allure polygonale décrite par les "polygones gravitaires".  L'application porte sur un réseau d'agences bancaires. Dans cette première approche, la méthode est présentée de façon descriptive et la qualité de la méthodologie et ses possibilités d'application requièrent des investigations complémentaires.

 


1.      Principales approches et méthodes existantes

1.      Principales approches et méthodes existantes
Typologie des recherches sur l'organisation spatiale d'un marché
Typologie des recherches sur l'organisation spatiale d'un marché

Les recherches sur l'organisation spatiale d'un marché peuvent être classées en trois groupes[1]:

- celles qui se focalisent sur la modélisation du comportement spatial de l'acheteur,

- les modèles normatifs et d'évaluation et de sélection de l'emplacement du point de vente,

- les travaux fondés sur la théorie des places centrales. Ils proposent une formulation théorique de la répartition spatiale des points de vente dans une zone de marché, en fonction d'hypothèses émises tant sur le comportement spatial de l'acheteur et des firmes de distribution que sur l'environnement au sein duquel opèrent ces différents acteurs.

 


1.1. Modeles d'analyse du comportement spatial de l'acheteur.

1.1. Modeles d'analyse du comportement spatial de l'acheteur.
Présentation
Présentation

Des modèles d'analyse spatiale permettent de comprendre le comportement de l'acheteur dans l'espace. La capacité prédictive de ces modèles s'est considérablement accrue avec l'intégration progressive d'autres variables que la variable "distance" pour expliquer le comportement de choix de l'acheteur face aux points de vente. Plusieurs modèles peuvent être distingués:

- le modèle du "centre le plus proche",

- les modèles gravitaires qui reposent sur les concepts de gravitation du commerce de détail proposés par Reilly et Converse. 


Modèle du centre le plus proche

Modèle du centre le plus proche
Présentation
Présentation

Ce modèle repose sur une hypothèse relative au  comportement de l'acheteur selon laquelle celui-ci fréquenterait l'unité de distribution la plus proche pour se procurer le bien ou service qu'il recherche. Il est ainsi possible de déterminer pour chaque point de vente, une aire de marché qui se compose de l'ensemble des acheteurs les plus proches.

De nombreuses critiques ont été émises à l'égard d'une conceptualisation considérée comme trop simpliste du comportement de l'acheteur. Ces critiques ont amené certains auteurs à remettre en cause la notion de distance absolue et à introduire la notion de distance relative, qui  intègre la perception de l'acheteur . Ainsi, si la différence en terme de distance entre deux alternatives n'est pas perçue par l'acheteur, les deux points de vente seront considérés comme équivalents par celui-ci au moment du choix (Devletoglou 1965, O'Sullivan et Ralston 1976).


Limites du modèle
Limites du modèle

Le modèle du centre le plus proche comporte plusieurs  limites:

- il peut conduire à des résultats biaisés "si il se consacre à l'étude du comportement d'achat de produits anomaux pour lesquels le critère de proximité géographique est moins important" (Filser, 1985),

- il ne convient pas pour les déplacements multi-achats (achats groupés) pour lesquels la sensibilité à la distance est moins importante,

- il part de l'hypothèse que le choix d'un point de vente résulte d'une stratégie de minimisation de l'effort investi de la part de l'acheteur alors même que ce choix pourrait être la conséquence d'une stratégie de maximisation de la satisfaction globale retirée de l'acte d'achat (Hodgson,1981),

- il postule une stricte équivalence des points de vente du point de vue de l'acheteur (en terme d'offre de produits et de services).


Modèles gravitaires

Modèles gravitaires
Presentation
Presentation

La faible capacité du modèle du centre le plus proche à prédire le comportement de choix d'un point de vente a conduit les chercheurs à proposer d'autres modèles de choix d'un point de vente. Les modèles probabilistes d'analyse spatiale (également appelés modèles de préférence révélée) permettent de déterminer la probabilité qu'un acheteur fréquente un point de vente à partir de l'utilité qu'il  associe au point de vente: l'utilité varie positivement avec une mesure d'attractivité et inversement avec une certaine puissance de la distance. Les consommateurs compensent la désutilité causée par la distance supplémentaire à parcourir avec l'utilité procurée par le plus d'attractivité. Le précurseur de ces modèles est le modèle gravitaire de Reilly (1931) qui fixe la limite entre deux centres de distribution en fonction de la distance qui les sépare et de leurs dimensions respectives.


Apporoche probabiliste
Apporoche probabiliste

Huff (1964, 1966) fut le premier à formuler un modèle gravitaire sur des bases probabilistes. Son modèle basé sur l'axiome de choix de Luce (1959) suggère que la probabilité qu'un consommateur fréquente une certaine unité de décision est proportionnelle à sa surface et inversement proportionnelle à une puissance de la distance. Le développement de procédures de transformation logarithmique pour estimer les paramètres du modèle par la méthode des moindres carrés (Nakanishi et Cooper, 1974) a permis de proposer une formulation originale du modèle de Huff connue sous le nom de modèle MCI (Multiplicative Competitive Interaction). Ce modèle permet, en outre, de prendre en compte d'autres variables dans la prédiction de la fréquentation d'un point de vente. L'attractivité d'un point de vente est ainsi considérée comme une composante de plusieurs variables: l'image du point de vente (Stanley et Sewall 1976), la présentation des articles (Jain et Mahajan 1979), la proximité avec d'autres centres (Hansen et Weinberg 1979). Cliquet (1990) a, par ailleurs proposé un modèle interactif de concurrence spatiale subjectif (MICS subjectif) qui permet de mesurer l'attractivité d'un point de vente à l'aide de données subjectives au lieu des données objectives habituellement utilisées. Certains auteurs proposent d'utiliser le modèle logit multinomial (MNL) plutôt que le modèle MCI parce qu'il est mieux adapté à des problèmes de choix de type discret.


Limites
Limites

En dépit de leurs apports, les modèles gravitaires présentent deux inconvénients majeurs (Craig, Ghosh et McLafferty 1984): ils reposent généralement sur des fonctions d'utilité de type compensatoire, ils montrent une forte dépendance au contexte.

 


1.2 Modeles normatifs et les méthodes d'aide a la décision pour le choix de la localisation du point de vente.

1.2 Modeles normatifs et les méthodes d'aide a la décision pour le choix de la localisation du point de vente.
L’evaluation d’un emplacement – un problème dual
L’evaluation d’un emplacement – un problème dual

Le problème de l'évaluation d'un emplacement par l'entreprise constitue le second axe de recherche des travaux abordant la problématique de l'organisation spatiale d'un marché. Lorsqu'une entreprise envisage d'ouvrir une nouvelle unité de vente, elle se trouve confrontée à deux types de problèmes majeurs: un macroproblème qui consiste à déterminer la zone géographique dans laquelle le nouveau point de vente sera implanté, un microproblème qui consiste à sélectionner un emplacement précis au sein des zones présélectionnées. Le potentiel de rentabilité de la zone ou du site constitue, dans ces deux cas, le critère décisif de choix de l'emplacement .


Méthodes d’evaluation du potentiel d’un emplacement
Méthodes d’evaluation du potentiel d’un emplacement

Plusieurs techniques permettent de mesurer ce potentiel et ainsi d'évaluer l'intérêt de chaque emplacement présélectionné. Certaines de ces méthodes reposent sur des informations disponibles (méthode de régression), d'autres supposent une prise d'information auprès des dirigeants (méthode basée sur le jugement des dirigeants) ou des consommateurs (méthode analogique, méthode gravitaires, modèle de localisation-allocation). La nature des informations recherchées conditionne le coût de l'évaluation des sites d'implantation.


La méthode de la liste de contrôle
La méthode de la liste de contrôle

La méthode de la liste de contrôle constitue la méthode la plus élémentaire de sélection d'un emplacement. Elle consiste à standardiser la procédure de collecte d'informations afin de rendre la mesure des différents sites potentiels comparable. Elles contiennent des informations sur la composition économique de la zone, la concurrence, les habitudes de consommation et les dépenses, l'intensité du trafic, les facilités du parking, l'accessibilité, la visibilité... Cette méthode apparaît simple et peu coûteuse. La méthode analogique, associée au nom de William Applebaum (1966) constitue une méthode plus élaborée d'évaluation des emplacements. Elle permet d'estimer l'aire d'un marché et les ventes attendues d'un nouveau point de vente à partir d'observations réalisées sur le pouvoir d'attraction d'un magasin comparable. Cette méthode se décompose donc en trois étapes: choix d'un point de vente analogue, évaluation du pouvoir d'attractivité de ce point de vente par enquêtes, estimation sur cette base des ventes du nouveau point de vente à différents emplacements alternatifs.


Les modèles de régression
Les modèles de régression

Les modèles de régression utilisent les techniques de régression pour déterminer les facteurs qui affectent la performance des unités de distribution à des emplacements différents. Sont combinés des facteurs indiquant la localisation géographique, les attributs du magasin, les attributs du marché, le prix et la concurrence. De nombreuses difficultés existent pour calibrer ces modèles, définir et mesurer les variables.


Les modèles gravitaires
Les modèles gravitaires

Les modèles gravitaires permettent de sélectionner l'implantation optimale d'un point de vente parmi les emplacements possibles . La connaissance de la probabilité qu'un acheteur localisé en i fasse ses achats en j et du nombre total de consommateurs résidant en i permet d'estimer le nombre total de consommateurs susceptibles de faire ses courses en j. Cette estimation doit alors être comparée aux fréquences relatives réelles provenant d'enquêtes réalisées de façon à évaluer la paramètre de sensibilité à la distance. Enfin, il est possible de calculer les ventes annuelles probables d'un centre de distribution j aux consommateurs provenant de i à partir des informations recueillies sur les budgets que ces derniers consacrent à chaque catégorie de produit. Cette méthode d'évaluation des sites pose le problème de l'estimation des paramètres qui ne sont pas généralisables (l'élasticité de la demande à la distance n'est pas toujours identique). Le calibrage du modèle nécessite donc une recherche d'information (coûteuse) auprès des consommateurs. 


Les méthodes basées sur le jugement des dirigeants
Les méthodes basées sur le jugement des dirigeants

Les méthodes basées sur le jugement des dirigeants permettent de limiter les coûts précédents. Durvasula, Sharma et Andrews (1992) ont développé un modèle de localisation d'un point de vente, le modèle Storeloc, basé sur le jugement des dirigeants. L'objectif de ce modèle est de prédire la part de marché d'un nouveau point de vente situé à différents emplacements, afin de déterminer l'emplacement le plus attractif. Ce modèle repose sur l'hypothèse que la part de marché d'un nouveau point de vente est fonction: (a) de la proportion de part de marché que celui-ci va "prendre" à la concurrence et/ou (b) de la proportion  de l'expansion du marché dont il pourra bénéficier (les auteurs considèrent que l'ouverture du nouveau point de vente peut avoir un effet positif sur la taille du marché). Ces deux paramètres sont à estimer par les dirigeants. Le modèle présente plusieurs avantages: facilité d'utilisation (pas d'interrogation des consommateurs), prise en compte de l'environnement concurrentiel du point de vente et de l'effet du nouveau point de vente sur la demande totale de la zone considérée.


Les modèles de localisation-allocation
Les modèles de localisation-allocation

Les modèles de localisation-allocation permettent de sélectionner différents emplacements, de manière à optimiser certains critères de performance tout en évaluant la demande se rapportant à chacun d'entre eux. L'avantage de ces modèles est leur capacité à évaluer un nombre important d'emplacements et de sélectionner celui qui maximise un critère de performance fixé par l'entreprise. L'entreprise peut  chercher à maximiser son profit ou ses parts de marché ou chercher à se protéger des actions de la concurrence. Dans la plupart des cas, ce sont les modèles MCI qui ont été utilisés pour évaluer l'impact du nouveau point de vente sur le comportement de l'acheteur et donc sur la redistribution des consommateurs au sein de la zone géographique considérée. Goodchild (1984) identifie trois problèmes majeurs au niveau de l'utilisation des modèles de localisation-allocation pour l'évaluation des sites: le calibrage des variables du modèle de choix d'un point de vente, le choix d'une fonction appropriée, le rapport coût/efficacité des procédures proposées (notamment en raison  de la procédure de collecte des informations).


1.3. travaux fondes sur la theorie des places centrales.

1.3. travaux fondes sur la theorie des places centrales.
Présentation
Présentation

La théorie des places centrales qui permet d'opérer un rapprochement entre le comportement spatial des acheteurs et celui des firmes opérant au sein d'un même marché géographique représente le troisième axe de recherche abordant la problématique de l'organisation spatiale d'un marché. Historiquement, cet axe est le plus ancien.


1.3.1 Principe de base de la théorie des places centrales
1.3.1 Principe de base de la théorie des places centrales

 A partir d'hypothèses formulées sur le comportement de l'acheteur et sur celui des firmes, cette théorie permet de proposer une représentation de la répartition spatiale des points de vente au sein d'une zone géographique et de déterminer la forme des aires de marché se rapportant à chacun d'entre eux.

La théorie des places centrales a été proposée par Christaller en 1935 et a été formalisée dans une approche micro-économique par Lösch en 1954 .Christaller part du principe qu'il existe une distance maximale que l'acheteur est disposé à parcourir pour se procurer un certain bien. Cette distance permet de délimiter l'aire de marché d'un point de vente.  Par ailleurs, l'auteur considère que la demande de la zone à laquelle appartient un point de vente doit être supérieure à un certain seuil pour que celui-ci soit économiquement viable. Lösch fait l'hypothèse que la demande pour un point de vente diminue avec la distance au point de vente en raison de l'accroissement du coût réel que représente un déplacement plus long pour l'acheteur (coût du transport). Cette hypothèse lui permet d'introduire la notion de  "cône de la demande spatiale".


1.3.2 Répartition spatiale des points de vente et forme des aires de marché.
1.3.2 Répartition spatiale des points de vente et forme des aires de marché.

Selon la théorie des places centrales, les aires de marché des points de vente peuvent être représentées, dans un marché uniforme, sous la forme de cercles de rayon déterminé.

Il a été démontré géométriquement que pour couvrir un espace plan avec un nombre maximum de cercles égaux et tangents (minimisant la surface non occupée), il était nécessaire de disposer ces cercles en quinconce (réseau hexagonal - figure 1 (a)).

 

(a)

(b)

(c)

(d)

Fig.1 - la  structure triangulo-hexagonale permet de couvrir un territoire avec un nombre maximum de points de distribution

Par ailleurs, la totalité des consommateurs ne sera effectivement desservie par le réseau commercial existant que si les cercles sont placés de manière à se recouper  (figure 1(b)- aucune surface non occupée). Enfin, si les individus appartenant aux zones de recoupement agissent de façon rationnelle et fréquentent le centre le plus proche (dans le but de réduire leur coût de transport), les aires de marché prendront l'allure hexagonale décrite par la figure 1(c).


Axiomes de la théorie de places centrales
Axiomes de la théorie de places centrales

Cette analyse montre que dans un marché uniforme, les distributeurs seront implantés à égale distance et desserviront des aires de marché de forme hexagonale et de taille égale. Ainsi une  structure hexagonale offre une répartition optimale des aires de marché dès lors que les hypothèses simplificatrices formulées par la théorie des places centrales sont satisfaites:

- l'espace est un plan limité,

- les consommateurs sont identiques entre eux, répartis sur un plan illimité et peuvent se déplacer librement et dans n'importe quelle direction,

- les unités de distribution sont de taille  et d'attraction  égale.


1.3.3. Hiérarchie des places centrales.
1.3.3. Hiérarchie des places centrales.

La théorie des places centrales introduit également la notion de "hiérarchie des places centrales" qui postule une localisation ordonnée des équipements qui se fonde sur la taille des aires de marché. La concurrence spatiale va être à l'origine de l'ouverture de points de vente de plus en plus proches. Les aires de marché circulaires se recouvrent progressivement en produisant des aires hexagonales de plus en plus petites.  Il est ainsi possible de déterminer des niveaux hiérarchiques différents des places centrales. A chaque niveau hiérarchique, les localisations forment un réseau hexagonal d'aires de marché. Chaque niveau offre un panier spécifique de biens et de services (Christaller,1935), ou une quelconque combinaison de biens et services (Lösch, 1954).


1.3.4. Les limites de la théorie des places centrales.
1.3.4. Les limites de la théorie des places centrales.

Si la théorie des places centrales demeure la "théorie normative la mieux développée" (Craig C.S., Ghosh A. et McLafferty 1984) et la "plus connue et la mieux acceptée " (Mason et Mayer 1981) pour la localisation du commerce de détail, des critiques peuvent être formulées à l'encontre d'une construction géométrique des aires de marché qui suppose une desserte uniforme du tissu spatial et une localisation ordonnée des équipements. Ces critiques (complexité de l'environnement, sensibilité de l'acheteur à la distance, considérations stratégiques particulières des firmes, dynamique des localisations) sont souvent reprises dans les contributions qui relèvent des deux autres grands axes de recherche déjà présentés. La suite montre que l'approche reste intéressante dans certains cas et peut être améliorée par la méthode des polygones gravitaires.

 


2  Les polygones gravitaires - presentation et application de la methode.

2  Les polygones gravitaires - presentation et application de la methode.
Relaxation de certaines conditions de la théorie des places centrales
Relaxation de certaines conditions de la théorie des places centrales

Certaines études empiriques (Berry 1967, Skinner G.W.1964) semblent montrer une structure polygonale des aires de marché. Cette structure peut être reconstituée en abandonnant certaines conditions imposées par la théorie des places centrales :

- l'espace n'est pas un plan illimité et il ne laisse qu'un nombre restreint d'emplacements disponibles,

- les consommateurs ne sont pas uniformément répartis,

- les centres de distribution marquent de petites différences de taille et d'attractivité.

La structure hexagonale présentée dans la théorie des places centrales constitue le point de départ de la structure triangulo-polygonale qui est utilisée dans le cadre de cet article pour définir géométriquement les aires de marché. Le processus général d'application ressort en figure 2. Le contexte d'application comprend les 22 agences bancaires d'une ville appartenant à neuf banques.


Mise en place d’un méthode de partitionnement
Mise en place d’un méthode de partitionnement

 

1.

Pré-analyse empirique de la pertinence de la théorie des places centrales dans le contexte étudié.

- Y a-t-il hiérarchie des points de distribution (au sens de la théorie des places centrales) ?

- Pertinence de l'hypothèse du centre le plus proche ?

 

 

 

2.

Calibrage de l'index d'attractivité pour chaque niveau de la hiérarchie

 

 

 

3.

Obtention des zones de marché

 

 

 

 

4.

Impact des actions marketing (réelles ou simulées) sur l'index d'attractivité

 

 

Fig. 2 - Le processus général d'application de la méthode des polygones gravitaires

 


2.1 Construction d'une structure triangulo-polygonale plus souple pour représenter les aires de marché

2.1 Construction d'une structure triangulo-polygonale plus souple pour représenter les aires de marché
La triangulation de Delaunay et les polygones de Voronoi
La triangulation de Delaunay et les polygones de Voronoi

La structure hexagonale classique (Fig. 1 c) a comme support un réseau de triangles équilatéraux qui exprime la répartition uniforme des places centrales (figure 1 d). Une telle structure triangulaire ne permet pas d'intégrer la diversité de localisations spatiales rencontrée dans la réalité.


La triangulation de Delaunay
La triangulation de Delaunay

La triangulation des points éparpillés dans un plan, a fait l'objet d'importantes recherches durant ces dernières décades (Fang et Piegl, 1992). Les origines remontent à Voronoi (1907, 1908) et Delaunay (1932, 1934). De nombreux ouvrages et articles ont présenté les propriétés et les algorithmes utilisés pour la construction de telles triangulations.

La triangulation de Delaunay semble constituer la structure géométrique la mieux adaptée pour développer un appareil exploratoire (versus normatif) de gestion des aires de marché basé sur la théorie des places centrales. Elle réunit les points les plus proches dans des triangles de telle manière que le cercle qui les circonscrit ne contienne aucun autre point dans l'ensemble (Fig.3 a).

 

(a)

(b)

(c)

Fig. 3 - La triangulation de Delaunay et les polygones de Voronoi

Pour la gestion des points de vente, cela signifie que chaque triangle et son cercle circonscrit,  identifient une zone concurrentielle dans laquelle les trois protagonistes impliqués (dans le triangle) démarquent leurs territoires par des perpendiculaires sur les côtés du triangle. Ainsi, se définit autour de chaque noeud du réseau triangulaire le contour d'une aire de marché polygonale (figure 3 b).


Polygones de Voronoi
Polygones de Voronoi

Quand les points de ventes sont quasi-identiques (ex. des distributeurs automatiques), les perpendiculaires passent par le millieu de chaque coté (figure 3 c). L'aire de marché dessinée autour du chaque point de distribution correspond à un polygone de Voronoi défini comme le lieu géométrique de toutes les localisations qui sont les plus proches du point analysé (figure 4 c). Les polygones de Voronoi sont l'expression géométrique de l'hypothèse du centre le plus proche, et ont été utilisés de manière implicite et rarement explicite[2] dans la littérature sur la localisation des points de vente et dans les modèles de localisation-allocation.

A l'aide des polygones de Voronoi, il est possible de définir des zones de marché réalistes pour un certain nombre de biens et services de proximité.


Application à l'analyse spatiale des réseaux bancaires

Application à l'analyse spatiale des réseaux bancaires
Indentification des niveaux hièrarchiques
Indentification des niveaux hièrarchiques

L'analyse de la disposition spatiale des 22 agences bancaires (voir figure 4 a), confirme une répartition spatiale non uniforme.  Cette tendance est davantage marquée au sein des grandes et moyennes agences[3] qui se concentrent dans le centre ville et sur les artères commerciales. Les petites agences s'adaptent à la localisation des domiciles de la clientèle en se profilant comme agences de quartier et en tant que telles, elles semblent couvrir le territoire de façon plus équilibrée (figure 4 b). Ces comportements spatiaux montrent que la hiérarchie des places centrales se manifeste également au niveau des agences bancaires. Les petites agences de quartier offrent des services de proximité. Les  agences importantes se concentrent dans des zones de grande accessibilité et offrent des services plus sophistiqués. En toute rigueur, ces agences appartiennent à un niveau supérieur dans la hiérarchie des places centrales et elles devraient être éliminées du calcul des aires de marché au niveau de base qui représente les agences de quartier. Le jugement concernant l'appartenance à un type de place centrale dans la hiérarchie, peut être subjectif et reposer sur l'expérience de l'analyste, ou il peut s'appuyer sur des analyses typologiques à base d'enquêtes auprès des clients ou des experts.


Partition multiniveaux
Partition multiniveaux

A chaque niveau hiérarchique, les aires de marché se combineront dans un réseau polygonal qui recouvre le territoire analysé. Les places centrales de niveau supérieur drainent une partie du potentiel de chaque unité de demande (îlot, quartier, segment de rue etc.) dans une proportion inverse à une puissance de la distance.

En considérant que les différences de taille des petites agences étaient négligeables, nous avons défini les territoires de ces agences à l'aide des polygones de Voronoi  et nous avons projeté, dans les territoires obtenus, la répartition territoriale de la population de la ville en général et celle de la clientèle de la banque. Les territoires obtenus (voir figure 4 c et d) semblent bien isoler les concentrations de population et de clientèle autour des agences analysées.


2. 2 Prise en compte de l'attraction des points de distribution

2. 2 Prise en compte de l'attraction des points de distribution
Les différences d'attractivité
Les différences d'attractivité

L'hypothèse d'une stricte équivalence des points de vente présents sur le marché, apparait peu réaliste. Des différences d'attractivité et de potentiel se manifestent nécessairement entre des opérateurs qui se partagent un territoire, même si ces derniers appartiennent à un même niveau hiérarchique[4].

Une relaxation supplémentaire des axiomes de la théorie des places centrales est donc nécessaire. La triangulation de Delaunay s'avère une structure particulièrement adaptée pour intégrer les différences d'attractivité entre les points d'un réseau triangulaire, dans les limites imposées par la définition de la hiérarchie.


Particularité de la triangulation de Delaunay
Particularité de la triangulation de Delaunay

Etant donné qu'à un même niveau hiéarchique l'aire de marché d'un site ne peut pas inclure un autre site, la frontière d'attraction entre deux points d'un triangle se trouve sur le côté qui les relie. Les perpendiculaires qui définissent les aires de marché autour des points se croisent toujours à l'intérieur du cercle circonscrit (comme en figure 5 a et b). Des situations, comme celle qui est présentée en figure 5 b, inacceptables à un même niveau hiérarchique où l'aire de marché du point A inclue le point D, sont évitées par la définition même de la triangulation de Delaunay.

(a)

(b)

Fig. 5 - Quand l'attractivité des points de vente diffère les perpendiculaires marquant les limites d'attractivité ne se croisent plus dans un seul point. Par definition des triangles de Delaunay le point D ne peut pas se trouver à l'intérieur du cercle circonscrit ou se croisent les perpendiculaires.


Potentiel de la triangulation de Delaunay
Potentiel de la triangulation de Delaunay

Ces arguments font espérer que la triangulation de Delaunay et son opérationnalisation informatique, présentent un intérêt particulier pour un grand nombre de problèmes liés à la localisation des points de vente et de services, à la définition des territoires de marché et à la gestion des réseaux de distribution. Elle permet de développer la dimension opérationnelle de la théorie des places centrales.

Le fait de pouvoir connecter selon des critères de proximité des points disposés de manière aléatoire dans un plan et de définir des territoires commerciaux de proximité, qui soient en concordance avec les principes de la théorie des places centrales, tout en éliminant les structures idéales, rigides sur lesquelles celle-ci a été bâtie, ouvre un champ d'investigation riche et intéressant.


Le modèle gravitaire
Le modèle gravitaire

Dans un triangle, les limites d'attractivité entre les sommets s'établissent sur chaque côté, de manière bilatérale. Le modèle que nous suggérons pour leur calcul est de nature gravitaire. Il suppose que l'attraction est directement proportionnelle à l'indice attractivité de chaque sommet et inversement proportionnelle à une puissance de leur distance (par rapport à la limite). Mathématiquement la limite d'attraction entre deux sommets i et j d'un triangle (limite notée Lij) peut être calculée par la formule suivante:

                                                      Lij =                                                           (1)

ou ai et aj représentent les indices attractivité des sommets i et j et est le coefficient d'élasticité à la distance. Les indices d'attractivité et la valeur peuvent être fixés en utilisant des modèles de choix spatial (le modèle gravitaire de Reilly 1931; le modèle de Huff 1964, le modèle MCI de Nakanishi, Cooper 1974) ou un modèle d'attribution directe d'utilité.


Les polygones gravitaires: méthodes de calcul et application

Les polygones gravitaires: méthodes de calcul et application
Principes de calcul des polygones gravitaires
Principes de calcul des polygones gravitaires

Les aires de marché seront calculées par l'intersection dans chaque triangle des perpendiculaires qui passent par les limites calculées précédemment. Malheureusement trois perpendiculaires, qui ne passent pas par le milieu de chaque coté, ne se croisent pas au même point, ce qui fait que les aires de marché calculées risquent de se recouvrir ou de ne pas couvrir tout le plan. Plusieurs solutions de compromis sont envisageables.


Croisement de médianes dans le triangle des limites d'attraction
Croisement de médianes dans le triangle des limites d'attraction

Une première solution de compromis possible, pour obtenir des territoires qui reflètent les différences d'attractivité entre les points de vente, est illustrée en figure 6 où le territoire de chaque point à l'intérieur du triangle est défini à l'aide du point de réunion des médianes des angles du triangle A'B'C' formé par les limites d'attraction sur chaque côté. Le territoire du point A par exemple est borné par les points C'DB'.

Fig. 6 - Une solution de compromis: partage du territoire à l'aide du point de réunion des médianes des angles du triangule A'B'C' formé par les limites d'attraction

C'est une solution rapide qui couvre l'espace entièrement, qui donne des résultats satisfaisants uniquement quand la répartition des points de ventes est relativement uniforme et quand les différences d'attractivité sont réduites.

(a)

(b)

(c)

Fig. 7 - Aires de marché obtenues par les intersections des médianes dans le triangle des limites d'attraction. (a) le point central a une attractivité égale à ses voisins; (b)  le point central a une attractivité supérieure à ses voisins; (c)  le point central a une attractivité inférieure à ses voisins


Croisement de perpendiculaires (sans recoupements)
Croisement de perpendiculaires (sans recoupements)

Pour obtenir des aires de marché géométriquement correctes dans des conditions de variation libre de la répartition des points de ventes et des différences d'attractivité, on peut utiliser des perpendiculaires sur les côtés du triangle de Delaunay.

Le point de vente est traité comme un noeud qui réunit tous les triangles adjacents. L'aire de marché autour du noeud est calculée en croisant dans chaque triangle les perpendiculaires sur les cotés adjacents au noeud, qui passent par la limite d'attractivité.

La première solution évite les recouvrements des aires de marché. Elle laisse en revanche des zones non couvertes (no mans land).

(a)

(b)

(c)

Fig. 8  - Aires de marché obtenues par une méthode itérative qui n'admet pas les recouvrements: (a) le point central a une attractivité égale à ses voisins; (b)  le point central a une attractivité supérieure à ses voisins; (c)  le point central a une attractivité inférieure à ses voisins


Croisement de perpendiculaires (avec recoupements)
Croisement de perpendiculaires (avec recoupements)

D'autres solutions peuvent être envisagées qui iraient plus loin dans le partage des "no mans lands" ou qui accepteraient le recouvrement des aires de marché.

(a)

(b)

(c)

Fig. 9 - Aires de marché obtenues par une méthode qui admet les recouvrements: (a) le point central a une attractivité égale à ses voisins; (b)  le point central a une attractivité supérieure à ses voisins; (c)  le point central a une attractivité inférieure à ses voisins


Résultats empiriques
Résultats empiriques

La définition des territoires commerciaux des agences bancaires à l'aide des "polygones gravitaires"  a donné des résultats intéressants qui sont illustrés dans la figure 10. La limite d'attraction entre deux agences i et j est calculée selon la formule (1), avec comme indice d'attractivité (ai et aj) une estimation de l'effectif dans chaque agence. L'effectif en terme de personnel a été utilisé comme critère d'attractivité par d'autres auteurs (voir par exemple Hodgson 1981). Deux approches sont illustrées: avec et sans prise en compte de la concurrence (figure 10).


2.3 Un outil de gestion territoriale

2.3 Un outil de gestion territoriale
Fonctionalités integrées au SIG et au tableur
Fonctionalités integrées au SIG et au tableur

Pour former le noyau d'un système d'aide à la décision géomarketing, nous avons écrit un programme en langage C++ qui intègre sous forme de bibliothèque de liens dynamiques (DLL) au système d'information géographique (GIS)  MapInfo et au tableur Excel, la triangulation de Delaunay et la constitution des zones de marché par les polygones de Voronoi et par les polygones gravitaires.

Informatisées, ces méthodes géométriques de calcul des aires de marché peuvent être utilisées comme  outils de gestion et de planification territoriale à caractère descriptif ou exploratoire.


Representation simplifiée de l’offre et demande
Representation simplifiée de l’offre et demande

La demande pour un produit ou service peut être représentée comme un ensemble de points, chacun de ces points étant caractérisé par une paire de coordonnées sur une carte. Il est ainsi possible d'associer à chaque point un poids indiquant le volume de la demande réelle ou potentielle. Dans la plupart des applications urbaines, chaque point de demande est localisé au centroïde d'une "zone statistique" (îlot,  quartier, etc.) et le poids représente la demande dans cette zone (Goodchild, 1984). Dans la ville prise comme exemple, la population est représentée par 700 îlots, et le réseau d'agences bancaires est formé de 22 localisations, dont 6 appartiennent à l'enseigne en discussion.

Pour des raisons de simplicité, nous allons utiliser un réseau de 12 localisations pour 48 îlots représentés en figure 11 par leur centroïdes (marqués avec le symbole "o").


Identification des emplacements favorisés et des zones mal déservies
Identification des emplacements favorisés et des zones mal déservies

Nos méthodes calculent des aires de marché pour chaque localisation d'une unité de distribution en fonction de l'indice d'attractivité associé et arrivent à couvrir le territoire.

La connaissance de la localisation des points de la demande et de leur poids respectif permet d'évaluer la demande de chaque aire de marché et de déterminer  les unités de distribution les plus favorisées et les points de demande mal desservis.

(a)

(b)

Fig. 11 - Utilisation des aires de marché calculées pour analyser et estimer la demande spatiale


Sensibilité aux changements dans la distribution des emplacements
Sensibilité aux changements dans la distribution des emplacements

Chaque nouvelle implantation ou disparition de point de distribution enregistrée sur la carte donne lieu à un nouveau calcul des aires de marché et à une réévaluation de la demande.

L'opérationnalisation informatique de ces méthodes facilite des analyses de sensibilité et des analyses tactiques du territoire, appréhendé tant comme un gisement que comme un  terrain de bataille.


Artefacts pour simuler certains aspects topographiques
Artefacts pour simuler certains aspects topographiques

Pour rendre les calculs sensibles à des zones de concentration de la demande (comme les centres villes ou les artères commerciales) mais aussi à des barrières (topographiques ou d'autre nature), il est possible d'utiliser différents moyens. Les zones de concentration peuvent être marquées par des points de demande supplémentaire avec des poids adaptés et les barrières seront marquées par des points de distribution vides à attractivité presque nulle. La figure 12 illustre comment l'introduction d'une dizaine de points artificiels de couleur grise (fig.12 a) affecte les aires de marché des 12 points de distribution (fig. 12 b).

(a)

(b)

Fig.12 - Construction des barrières polygonales à l'aide de points à attractivité presque nulle (ici 0,001)

Chaque niveau hiérarchique selon la théorie des places centrales aura son propre réseau polygonal et ce qui est une barrière à un niveau de la hiérarchie des points de vente peut ne pas l'être à un niveau supérieur.


Actualisation et recalibrage des modèles
Actualisation et recalibrage des modèles

La qualité de l'évaluation de la demande potentielle dans une aire de marché dépend de l'information sur la clientèle potentielle et des possibilités d'identification spatiale  des segments sensibles aux services ou produits fournis par les points de distribution analysés.

Périodiquement les modèles qui servent au calcul des indices d'attractivité et le coefficient d'élasticité par rapport à la distance devraient être recalibrés et actualisés par des études empiriques sur le terrain. A ce titre, Benavent, Thomas et Bergue (1993) proposent une application des modèles gravitaires et une procédure d'échantillonnage spatial intéressantes.


Congruence des aires de marché
Congruence des aires de marché

Un test peut être effectué pour évaluer la concordance entre les  aires de marché réelles ou obtenues par une étude empirique et les aires de marché géométriques déterminées selon nos méthodes de calcul. Le tableau suivant présente une mesure de concordance spatiale.

 Indicateur de congruence des zones de marché adapté de Huff et Rust (1984):

Huff et Rust comparent deux aires de marché calculées pour les mêmes points de distribution et par la même méthode pour tester si les aires de marché varient en fonction des produits, des jours de la semaine ou des périodes dans l'année. Dans notre cas, nous serons amenés à comparer des aires de marché calculées par deux méthodes différentes, une géométrique et discrète (la nôtre) et l'autre empirique et continue a base de courbe spline[5]  (méthode de Huff et Batsel, 1977).  Il s'agit de proposer quelques traitements préliminaires sur les aires géométriques calculées par notre méthode pour assurer une concordance avec le caractère courbé des aires de marché de Huff et Rust 84, ou Huff et Batsell 1977. Les dernières correspondent à des courbes de niveau qui délimitent un pourcentage donné de la clientèle d'un magasin. En relief cela donne une forme conique irrégulière (semblable à une montagne) ayant le sommet au point de distribution. Nos polygones expriment l'intersection d'une forme conique régulière (le cône de la demande de la théorie des places centrales) ayant le sommet dans le point de distribution avec d'autres formes de ce type exprimant la demande autour de chaque point de distribution voisin. Des arcs de cercle tracés à partir du point de distribution passant par les sommets du polygone (que nous avons calculés) et bornés par les médianes des deux cotés adjacents au sommet (fig.13 a) rendraient ces aires comparables avec les courbes de niveau de Huff et al. C'est sur cette transformation géométrique des polygones qu'on pourra calculer les points extrêmes j qui résultent des intersections tracées avec des angles j à partir du point de distribution. Les angles  j sont les angles que forment les points extrêmes (représentés en fig.13 a par "*") constatés dans l'étude empirique par rapport au point de distribution. Connaissant les points extrêmes (représentés par des "o") des nouvelles aires géométriques, on peut utiliser la technique des splines cubiques pour obtenir des aires de marchés continues (fig.13 b). Cette aire de marché sera comparée avec l'aire de marché tracée à partir des points empiriques toujours avec des splines cubiques (fig. 13 c).

(a)

(b)

(c)

Fig.13 - Construction d'une aire de marché continue autour du point de distribution à partir du polygone  et comparaison avec l'aire vérifiée sur le terrain empiriquement; (a) "o" intersections des angles j des points extrêmes empiriques "*" avec les arcs de cercles,  (b) aire géométrique - spline passant par les "o" ; (c) aire empirique spline passant par les "*"

 

 Le coefficient de correspondance U des aires obtenues par les deux méthodes serait:

                U =   ou i = 2i/k     (2)

et RE(i) et RG(i) sont les rayons à l'angle i pour les aires de marché obtenues par les deux méthodes (E pour empirique et G pour géométrique). Ce coefficient constitue une mesure globale de la congruence des frontières des deux aires de marché. Pour U zéro la congruence serait parfaite et pour U proche de un il n'y aurait pas de congruence. U2 peut être décomposé en plusieurs indicateurs: un qui mesure la différence de surface entre les deux aires, un autre qui mesure les différences des écarts types des rayons et un qui indique la mesure dans laquelle les deux aires ont la même forme et orientation (pour une discussion détaillée voir Huff et Rust 1984)

 


5. Discussion et voies de recherche

5. Discussion et voies de recherche
Les pôlygones gravitaires et l'approche normative
Les pôlygones gravitaires et l'approche normative

L'approche normative correspond à des problèmes d'allocation de localisation (location-allocation problems) traités en recherche opérationnelle. Classiquement on cherche à repartir les localisations dans l'espace de manière à optimiser un critère lié à la distance à parcourir par les clients pour satisfaire leur demande. Une première formulation d'un tel critère exige la minimisation de la distance totale à parcourir. La distance totale est minimisée quand chaque individu est desservi par le point de distribution le plus proche et quand chaque localisation est optimale par rapport à l'aire qu'elle dessert. La solution optimisée est obtenue en variant systématiquement les localisations en calculant les aires de marché. Ni les aires de marché ni les localisations centrales ne sont connues d'avance (Goodchild, 84). Les algorithmes pour trouver des localisations optimales, sont similaires à la méthode des nuées dynamiques bien connue en classification automatique.

Les aires calculées par l'une des méthodes proposées "encapsulent" le critère distance et c'est leur potentiel commercial qui doit être optimisé.

Deux stratégies alternatives sont envisageables: prendre en compte la concurrence, l'ignorer. La première stratégie essaie d'optimiser les localisations disponibles pour gagner le maximum de parts de marché par rapport à la concurrence et remplir les trous laissés par celle-ci. L'autre stratégie considère qu'en conditions d'incertitude sur les actions futures de la concurrence, il est plus rationnel d'ignorer la concurrence [6].


Limites des hypothèses simplificatrices
Limites des hypothèses simplificatrices

Les méthodes de calcul des aires de marché proposées dans cet article reposent sur deux simplifications principales qui créent un avantage dans la relation coûts/bénéfices. Le contour des aires est discret (géométrique) et net quand, en réalité, il est continu et probabiliste. Le territoire par contre est appréhendé comme un espace continu alors qu'en en réalité l'espace est discret et les déplacements sont effectués à travers un réseau et la demande se trouve dans des noeuds du réseau.


Approximation continue pour un expace discret
Approximation continue pour un expace discret

Il est possible d'adapter les calculs pour un espace discret, dans lequel les distances seraient précises. Les localisations optimales seraient plus rapides à calculer et ne risqueraient pas de se trouver dans des endroits impraticables. Mais les coûts induits par les données nécessaires (sur le réseau de rues, et d'autres voies de communication) et les calculs à effectuer (les algorithmes de calcul et de localisation optimale sont peu gourmands en terme de ressources informatiques) sont beaucoup plus importants pour un espace discrét qu'ils le sont pour un espace continu.

Le contour géométrique des aires de marché est obtenu presque instantanément. Si les indices d'attractivité et les coefficients d'élasticité par rapport à la distance ont été bien calculés, nos méthodes de calcul peuvent donner une bonne approximation des aires de marché réelles là ou les assomptions vis-à-vis des itinéraires d'achat sont applicables.


Cout du calibrage
Cout du calibrage

Les paramètres des indices d'attractivité et les coefficients d'élasticité par rapport à la distance utilisés dans le calcul de "polygones gravitaires" nécessitent le calibrage de modèles de choix spatial. Ce calibrage est en général coûteux, parce qu'il exige des enquêtes qui couvrent bien le terrain ou des bases de données exhaustives pour un certain territoire.  Il n'est pas possible de les recalibrer à chaque changement de l'environnement concurrentiel, même si cela était nécessaire compte tenu d'une notoire non stationnarité et non transférabilité de ces modèles. La gestion quotidienne d'un territoire commercial à l'aide des "polygones gravitaires" permet d'indiquer à quel moment un recalibrage s'impose. Ce recalibrage peut être substitué par un "reparamétrage" subjectif des indices d'attractivité (vérifiable géométriquement).

 


Recherches futures
Recherches futures

Il est possible de déterminer plusieurs voies de recherche suite à la proposition de cette nouvelle méthode d'analyse spatiale du marché. Il serait particulièrement intéressant de:

- trouver des solutions de compromis pour obtenir des réseaux de "polygones gravitaires" qui ne laissent pas de zones libres ou de recouvrements indépendamment de la position des points de distribution et des différences d'attractivité,

- développer les aspects concrets liés à l'intégration des polygones gravitaires dans les modèles et algorithmes de localisation-allocation,

- trouver des solutions pour gérer les effets des aires de marché stratifiées dans le cadre d'une hiérarchie des places centrales. Un "cône de la demande" (voir pyramide de la demande) pourrait être approximé pour chaque polygone gravitaire, afin  d'enlever la part de la demande drainée par des niveaux hiérarchiques supérieurs.  Il nous semble que les méthodes d'estimation de densité non paramétriques par la méthode SSDA (Squared Surface Analysis Density Analysis, Rust et Brown, 1986) ou encore par les fonctions kernel (Donthu et Rust,  1989) pour estimer les "cônes de la demande" autour des points de distribution stratifiés (appartenant à des niveaux hiérarchiques différents) sous forme d'une fonction continue, offrent une alternative intéressante pour évaluer pour  chaque point de demande (îlot, quartier etc.) la partie de la demande appartenant aux strates supérieures. Les fonctions kernel peuvent jouer en analyse verticale des aires de marché le même rôle que les fonctions spline jouent pour l'analyse horizontale (dans le plan).

 

 


 

Bibliographie

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